Le rite comme spectacle : enjeux et acteurs de la patrimonialisation des rites de divinités visiteuses au Japon
[博士課程の学生のためのセミナー] Louis CANALES (univ. d'Aix-Marseille, univ. de Kanagawa)
18:00~20:00 601号室 & オンライン フランス語 通訳なし
La péninsule d’Oga s’avance du Tōhoku vers la mer du Japon. Le soir du 31 décembre, ses habitants attendent la visite de divinités. Elles viennent pour punir les paresseux, éloigner les maux et apporter bonheur et richesse. Leur arrivée se devine à leurs cris rauques et leurs violents piétinements. Elles portent des masques horrifiants et de longs couteaux en bois. Elles s’en prennent aux enfants en rugissant : « est-ce qu’il y a des pleurnichards ? »
Au fil du temps, les namahage d’Oga sont entrés dans l’imaginaire collectif japonais. Ils jouissent d’une réputation telle qu’une fête spéciale est organisée tous les ans, en février, pour offrir aux touristes un aperçu de l’événement du Nouvel An. Ce rituel, maintenant inscrit au patrimoine culturel immatériel l’UNESCO, est devenu très prisé des amateurs de « folklore ». Le « vrai » événement conserve cependant un statut à part, tandis que toute une industrie touristique s’est mise en place autour des représentations des namahage. Mais la frontière entre patrimoine culturel et ressource touristique demeure souvent floue.
Plutôt que de se concentrer sur la notion d’authenticité, il semble plus pertinent d’analyser les différentes échelles d’organisations du rite. La péninsule d’Oga compte plus d’une centaine de villages ou quartiers qui ont chacun leur propre version des namahage. La patrimonialisation et la mise en tourisme, organisées au niveau municipal, créent des réseaux, mettent en relation certains acteurs et en isolent d’autres. Le patrimoine habite ainsi le territoire selon de nouvelles modalités. Les échelles régionale et nationale font transparaître la question identitaire. Lors de l’inscription du rite des namahage à l’UNESCO, il a d’ailleurs été associé à neuf autres rites de « divinités visiteuses » issues de plusieurs régions du Japon.
En analysant la situation à Oga et dans deux îles au large de Kagoshima, cette présentation propose de mettre en perspective les enjeux économiques et identitaires des rites locaux dans le Japon contemporain.
Louis CANALES (univ. d'Aix-Marseille, univ. de Kanagawa)
Louis Canales est doctorant en études japonaises. Lors d’une année d’échange universitaire dans le Tōhoku, il est entré pour la première fois en contact avec les rites locaux au Japon, à travers notamment l’observation participante. Il a été marqué par l’omniprésence des discours alarmants sur l’autosuffisance alimentaire, le déclin rural, le vieillissement de la population et le dépeuplement, et s’est intéressé aux politiques publiques de revitalisation. Depuis 2023, il prépare une thèse de doctorat sur la patrimonialisation des rites japonais de « divinités visiteuses » à l’université d’Aix-Marseille, sous la direction d’Arnaud Brotons. Il est actuellement accueilli par l’université de Kanagawa dans le cadre d’une mobilité d’un an et demi, et est rattaché au Research Center for Nonwritten Materials, Institute for the study of Japanese Folk Culture 日本常民文化研究所非文字資料研究センター.
Modérateurs : Mélanie HOURS (IFRJ-MFJ), Adrien BOYETTE (univ. des Sciences de Tokyo), Paul SAUVAIRE-BROCHOT (Inalco, IFRAE)
Orgaisation : IFRJ-MFJ