Maison Franco-japonaise: 日仏会館 Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise (Umifre 19, MEAE-CNRS)

Langue:JA / FR


Agenda

Cycle de conférences « Judiciarisation » des enjeux sociaux et environnementaux au Japon et en France 

Des procès anti-nucléaire aux contentieux de la transition énergétique ? Nature et évolution de la judiciarisation dans le secteur de l’énergie au Japon et en France


avec traduction
Date mercredi 27 octobre 2021 / 18 h - 20 h (JST)
Conférencier Magali DREYFUS (CNRS, univ. de Lille), IIDA Tetsunari (Institute for Sustainable Energy Policies), KAWAI Hiroyuki (avocat)
Discutant : Rémi SCOCCIMARRO (univ. Toulouse Jean-Jaurès)

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L’intervention du juge s’étend à différentes sphères de la vie sociale, économique et financière, tels que la santé, le travail, l’environnement, ou encore les affaires. L’augmentation des contentieux dans des domaines jusqu’alors peu soumis à l’intervention du juge serait une tendance observée depuis plus d’une vingtaine d’années en France et au Japon, et presque un demi-siècle aux États-Unis, comme l’indique la diffusion du terme de « judiciarisation » (e.g. Scheingold 1974 ; Shapiro & Stone Sweet 2002 ; Pélisse 2003, 2009, 2020 ; Commaille & Kaluszynski 2007 ; Foote, Kawai, Moriya, Kakiuchi, Kaminaga, Wada, Tomohiko & Ota 2009 ; Murayama 2013 ; Steinhoff 2014).
Si le recours au contentieux n’est pas nouveau, ce cycle de webinar porte surtout sur les conditions sociales, juridiques, économiques et politiques, le contexte et les acteurs de l’usage du droit au sens de recours juridique et judiciaire. La comparaison des travaux en France et au Japon représente une voie d’entrée originale pour rendre compte, d’une part, des différentes définitions théoriques et applications empiriques que ce terme renferme pour répondre, d’autre part, à la question de savoir si l’on assiste à une convergence des pratiques dans le sens d’une « américanisation », et quels en seraient les déterminants (Kagan 2007) ? Ou bien, observe-t-on un maintien des spécificités nationales, et comment celles-ci évoluent-elles (Rosa 2012) ?

Cinquième conférence du cycle
« Judiciarisation des enjeux sociaux et environnementaux au Japon et en France »

« Des procès anti-nucléaire aux contentieux de la transition énergétique ? Nature et évolution de la judiciarisation dans le secteur de l’énergie au Japon et en France »


Magali DREYFUS (CNRS, univ. de Lille)
La transition énergétique en contentieux

Résumé : En France, l’activité contentieuse dans le secteur de l’énergie est ancienne et dense. Elle couvre une multitude d’objets et de situations, et intéresse les juridictions administratives comme l’ordre judiciaire. Dans ce contentieux, une part significative des recours est portée par des associations de protection de la nature, des riverains ou autres défenseurs d’un territoire qui estiment que l’exploitation de centrales de production d’énergie, qu’elle soit d’origine nucléaire ou de source renouvelable, portera atteinte à l’environnement local. Dans ce contexte, cette intervention prolongera les questionnements des séminaires précédents sur le phénomène de judiciarisation des enjeux environnementaux, à partir du cas de l’énergie. Observe-t-on un usage militant du droit dans ce secteur ? Et peut-on repérer l’émergence d’un contentieux de la « transition énergétique » ? Nous tenterons de répondre à ces questions, à partir d’un examen rapide de la jurisprudence récente dans le secteur du nucléaire et des énergies renouvelables. Nous jaugerons ainsi les rapports de force entre les parties, et scruterons l’imbrication complexe entre motivations d’ordre politique et ancrage territorial des conflits.

Magali Dreyfus est chargée de recherche CNRS en droit, au Centre d'Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (CERAPS) de l'université de Lille. Ses travaux portent sur l’action publique locale en lien avec l’environnement, et notamment le changement climatique et l’énergie. Elle est titulaire d’un master en droit comparé de l'université Panthéon-Sorbonne Paris 1 et d’un doctorat en droit de l’Institut universitaire européen (Florence, Italie). Avant de rejoindre le CNRS, Magali Dreyfus a travaillé à l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) en Autriche, ainsi que quatre ans, comme post-doctorante à l’Institut d’études avancées de l’université des Nations unies (Tokyo). Elle a également été chercheuse invitée pendant deux ans au National Graduate Institute for Policy Studies (GRIPS), Tokyo.


KAWAI Hiroyuki (avocat)
Le mouvement antinucléaire et les contentieux pour fermeture préventive des centrales nucléaires au Japon

Résumé : Avant l'accident nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011, plusieurs actions pour fermeture préventive ont été intentées pour différents sites de centrales nucléaires, mais la plupart d'entre elles ont été perdues, à l’exception de deux affaires (la Haute Cour de Nagoya, branche de Kanazawa, concernant le site de Monju, et le Tribunal de district de Kanazawa concernant la centrale de Shiga). Ces deux affaires ont fait l'objet d'un recours et ont été immédiatement annulées par les juridictions supérieures. Des mobilisations antinucléaires ont été organisées sur chacun des sites, ainsi qu'à Tokyo et à Osaka notamment, mais sans susciter d’élan national suffisant. La faible participation citoyenne au mouvement antinucléaire s’explique en grande partie par la diffusion de la « Campagne sur la sûreté, la sécurité et la nécessité du nucléaire » menée depuis près de 50 ans par le « Village nucléaire » (genshiryoku mura) qui regroupe les acteurs institutionnels prenant part au développement du nucléaire civil au Japon. Ils ont entretenu une croyance dans la sureté des centrales nucléaires – du moins la croyance qu’aucun accident grave ne pouvait se produire – partagée au sein de l’opinion publique. L’accident de Fukushima a changé la perception du public sur la dangerosité de l'énergie nucléaire. La conviction et la détermination des avocats militants qui plaidaient contre les centrales nucléaires en furent renforcées. Ils ont créé l'Association nationale des avocats pour un Japon sans énergie nucléaire et ont intenté de nouvelles actions en cessation préventive contre des centrales nucléaires dans tout le pays à l'exception de la centrale de Higashidōri. En conséquence, ils ont gagné plusieurs affaires (centrale d’Oi, décision du tribunal de district de Fukui ; centrale de Takahama, injonction provisoire du tribunal de district de Fukui, centrale d’Oi injonction provisoire du tribunal de district d'Otsu, et centrale d’Ikata, injonction provisoire du tribunal de district et de la Haute Cour de Hiroshima). Malheureusement, ces décisions ont été annulées en appel. Toutefois, selon ces avocats, le contexte actuel s’est amélioré en comparaison avec la période antérieure à l’accident de Fukushima, caractérisée par des défaites successives devant les tribunaux. Immédiatement après l'accident de Fukushima, l'opinion publique et le mouvement antinucléaire se sont fortement mobilisés contre les défenseurs des centrales nucléaires. Cependant, suite à l’alternance politique au gouvernement (défaite du Parti démocrate du Japon au profit du Parti libéral-démocrate), les forces pro-nucléaires ont repris pied et l'opinion publique antinucléaire s'est amoindrie. À cela s’ajoute une augmentation des décisions de justice approuvant le redémarrage des centrales nucléaires. Récemment, cependant, des juges se sont à nouveau prononcés contre le redémarrage de la centrale nucléaire d'Oi (tribunal de district d'Osaka) et de la centrale nucléaire de Tokai Daini (tribunal de district de Mito). La décision concernant Tokai Daini est particulièrement importante. En effet, les juges ont décidé qu’en l’absence de plan d'évacuation en cas d'accident grave (ou de son inefficacité), la centrale doit être fermée pour cette unique raison (même si sa sûreté a été certifiée). Ce raisonnement peut être appliqué à toutes les centrales nucléaires. Néanmoins, le taux de réussite des contentieux pour fermeture préventive est très faible. Ces litiges demandent en effet un niveau de connaissance scientifique et technique très élevé. Ce niveau de difficulté joue en défaveur des plaignants face aux arguments des entreprises et du gouvernement. C’est la raison pour laquelle ces avocats militants veulent réformer le contentieux relatif à l’injonction de fermeture préventive, en s’appuyant notamment sur le plaidoyer de l'ancien juge Hideaki Higuchi qui a pris la décision historique d'arrêter la centrale nucléaire d'Oi. L’objectif des avocats militants contre le nucléaire est de promouvoir vigoureusement la campagne d'arrêt des centrales nucléaires, d’engager des poursuites judiciaires, et de promouvoir les énergies renouvelables.

Tout en travaillant comme avocat d'affaires sur un certain nombre de grands cas, maître Kawai Hiroyuki participe, suite à l'accident nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011, à l'organisation de plusieurs associations d’avocats spécialisés dans les contentieux pour fermeture préventive dans le domaine du nucléaire. En 2020, il a produit le film Nihonjin no wasuremono (Ce que les Japonais ont oublié) (K-Project) et a co-écrit le livre Hapon o torimodosu (korokara).


IIDA Tetsunari (Institute for Sustainable Energy Policies)
La transition énergétique au Japon à la croisée des chemins et l’essor de l’énergie communautaire dix ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima

Résumé : Au Japon, où la politique énergétique (y compris l'énergie nucléaire et la politique climatique) a toujours été décidée de manière opaque par l'État, la sensibilisation du public s'est longtemps limitée à des actions en justice contre les sites de centrales au charbon et nucléaire. Toutefois depuis la fin des années 1990 cette situation a changé et nous avons notamment contribué à cette évolution.

  • Loi sur les énergies renouvelables (Feed in Tariff Law, FIT) depuis 1998
    En novembre 1998, à la suite du succès de ce dispositif en Allemagne et dans d'autres pays, une mobilisation nationale s’est organisée au Japon pour soutenir le projet de loi d’initiative parlementaire sur les tarifs d’achat (Feed in Tariff Law) que nous avons rédigé. À cette époque, notre projet de loi a échoué, cependant en 2002, la loi d’initiative gouvernementale (ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie, METI) a finalement été adoptée conduisant à l'application ultérieure de la loi FIT en 2011.
  • Changement de la politique énergétique de Tokyo dans les années 2000
    En étroite collaboration avec le gouvernement de Tokyo, nous avons participé au changement de politique énergétique au niveau municipal.
    • - Déclaration de consommation d’énergie et émissions de gaz à effet de serre (2003)
      (Application en trois étapes de la réforme du système par le ministère de l'Environnement, en 2008, le premier système asiatique d'échange de quotas d'émissions a été lancé).
      - Étiquette-énergie européenne pour l'économie d'énergie (2005) (révision des étiquettes nationales d'économie d'énergie).
  • Opposition du département de Fukushima en 2004
    Le département de Fukushima, subordonné à la politique nucléaire nationale depuis 2000, a créé son propre groupe d'examen de la politique énergétique à l'initiative du gouverneur de l'époque, Satō Eisaku. Nous avons été sollicités à cette occasion pour participer à une analyse critique des essais actifs qui étaient sur le point de débuter à l'usine de retraitement de Rokkasho en 2004, suite à laquelle nous avons demandé avec le département de Fukushima une révision du cycle du combustible nucléaire.
  • L'impact de l'accident nucléaire de Fukushima Daiichi en mars 2011
    L'accident a causé de grands dommages à l'ensemble du pays et a, dans le même temps, fondamentalement modifié la prise de conscience du public à l'égard de l'énergie nucléaire et de l'énergie en général. Dans ce contexte, le Premier ministre de l'époque, Kan Naoto, a fait adopter la loi FIT en 2011 malgré les oppositions virulentes. Le département de Fukushima a décidé en 2012 de passer à 100 % d'énergies renouvelables d'ici 2040, sur nos recommandations. Dans le cadre du processus d’élaboration du « Plan de base pour l'énergie », le premier sondage d'opinion publique a été réalisé recevant 90 000 commentaires publics, conduisant à la décision de sortir du nucléaire dans les années 2030.
  • L'essor de l'énergie communautaire
    Fin 2012, le gouvernement du Premier ministre Abe Shinzō, fortement influencé par le METI, a repris l’ancienne approche top-down de gestion du pays, excluant les citoyens du processus décisionnel, et renouant avec une politique favorable à l'énergie nucléaire. Par ailleurs, la loi FIT a facilité la commercialisation des énergies renouvelables (en particulier l'énergie solaire) et la plus grande sensibilisation du public a conduit au lancement de projets énergétiques communautaires dans tout le pays, que nous soutenons activement.
  • La contradiction croissante entre l'énergie nucléaire et la décarbonisation
    Les gouvernements successifs d’Abe, Suga et Kishida visent à restaurer l'ancien ordre énergétique et l'énergie nucléaire, tandis que le reste du monde développe les énergies renouvelables (énergie solaire, énergie éolienne, batteries de stockage et véhicules électriques) entraînant un retard du Japon dans ces domaines.
    Il existe également un conflit grandissant entre les États qui soutiennent l'énergie nucléaire et les citoyens qui demandent à en sortir. En raison de l'expansion rapide des énergies renouvelables et des réformes parallèles du marché de l'électricité, on observe un vif essor des nouveaux systèmes, des politiques publiques innovantes et des questions juridiques associées, or les réponses du gouvernement japonais dans ces domaines restent tardives.


  • Iida Testunari a fondé et présidé depuis 2000 l'Institut pour les politiques énergétiques durables (ISEP), une entité indépendante à but non lucratif dans le domaine des énergies renouvelables. Il est à l'origine de plusieurs innovations sociales liées à l'énergie, telles que l'élaboration du FIT (Feed-in Tariff) en 1999, la création d'un « Green Certificate Scheme » volontaire avec TEPCO et SONY en 2001, la création de la première éolienne communautaire du Japon à Hokkaidō avec la première obligation communautaire en 2001, ainsi que la mise en place d'une « Agence locale pour l'énergie et l'environnement », inspirée du modèle danois, à Nagano en 2004. Il a participé activement à l’élaboration des politiques publiques au niveau nationale et local, notamment dans les domaines du nucléaire, des énergies renouvelables et du climat. Il a également contribué à l'introduction du système de plafonnement et d'échange « Cap & Trade » au sein du gouvernement de Tokyo et à l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables pour Fukushima et Nagano. Il a reçu le World Wind Energy Honorary Award 2016, il est membre du Xprize Abundant Energy Alliance (AEA) Brain Trust (2021-), et du Taiwan Presidential Hackathon International Track judges (2021).


    Discutant : Rémi SCOCCIMARRO (univ. Toulouse Jean-Jaurès)

    Rémi Scoccimarro est géographe, maître de conférences en langue et civilisation japonaises à l'université de Toulouse Jean-Jaurès. Ses travaux portent sur la reconversion des fronts de mer et les recompositions socio-démographiques des centres-villes au Japon. Depuis la catastrophe du 11 mars 2011, il consacre une grande partie de ses activités de recherche aux conséquences socio-spatiales du tsunami et de la pollution radioactive sur les territoires et les populations du Nord-Est de l’Archipel. Résident depuis 2016 à Tokyo, il est chercheur-associé à l’Institut français de recherche sur le Japon (UMIFRE 19) à la Maison franco-japonaise, où il poursuit son projet « L'énergie du territoire : politiques énergétiques locales et développement territorial dans le Japon post-Fukushima », ainsi qu’un suivi cartographique de la pandémie de Covid-19 au Japon.


    Modératrice et responsable du cycle de conférences : Adrienne SALA (IFRJ-MFJ)

    Organisation : IFRJ-MFJ
    Co-organisation : Fondation France-Japon de l'EHESS



    Cycle « Judiciarisation des enjeux sociaux et environnementaux au Japon et en France »

    Mercredi 20 janvier 2021 : Première conférence «  Préjudice écologique, responsabilité de l’État, contentieux climatiques et droit de l’environnement »
    Isabelle GIRAUDOU (univ. de Tokyo), OKUBO Noriko (univ. d’Osaka), Eve TRUILHÉ (CNRS, CERIC-UMR DICE). Discutante : TAKAMURA Yukari (univ. de Tokyo).

    Jeudi 4 février 2021 : Deuxième conférence « Les procès "Fukushima" et la fabrique des politiques publiques : les leçons tirées des précédents procès environnementaux et anti-pollution »
    Paul JOBIN (Academia Sinica), MANAGI Izutarō (avocat), YOKEMOTO Masafumi (univ. municipale d’Osaka). Discutante : KOJIMA Rina (LATTS, univ. Gustave Eiffel).

    Jeudi 27 mai 2021 : Troisième conférence « Droit, travail et santé »
    KASAGI Eri (CNRS, université de Bordeaux), KAWAHITO Hiroshi (avocat), Jérôme PELISSE (Science PO, CSO). Discutante : Adrienne SALA (IFRJ-MFJ).

    Jeudi 24 juin 2021 : Quatrième conférence « Usages sociaux et politiques du droit en France et au Japon. Exemples de mobilisation autour de causes »
    Liora ISRAËL (EHESS), IIDA Takashi (univ. de Tokyo), Discutant : TAKAMURA Gakuto (univ. Ritsumeikan).



    * L'accès aux manifestations de la MFJ est gratuit (sauf mention contraire), mais l'inscription préalable est obligatoire.
    Merci de vous inscrire depuis la page Agenda de notre site web.
    Dans le cadre des mesures de sécurité renforcées, une pièce d'identité sera demandée à l'entrée.

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