MAISON FRANCO-JAPONAISE — Un peu d'histoire


On peut consulter la liste (avec leurs spécialités et leurs rattachements institutionnels permanents) des personnes qui ont été depuis les origines, directeurs de cet institut, et que le gouvernement français nomme directeurs de la Maison Franco-Japonaise [» Liste de directeurs];

On peut également consulter la liste des chercheurs et de leurs spécialités et leurs rattachements, et que le gouvernement français appelle les pensionnaires de cette maison [» Liste de chercheurs].

Aux origines de la MFJ(*1) ...

La Maison franco-japonaise a été fondée en 1924 par le grand financier japonais SHIBUSAWA Eiichi et par Paul CLAUDEL, alors ambassadeur de France au Japon. En tant qu'établissement de recherche du Ministère des Affaires étrangères français, la MFJ est le plus ancien après celui de Damas créé en 1922.

La naissance de la MFJ s'inscrit dans la longue suite d'échanges entre Japonais et Français dont l'objectif était de mieux structurer les relations culturelles et scientifiques des deux pays, et elle intervient à une époque particulière, car la Maison franco-japonaise voit le jour un an à peine après le grand tremblement de terre du Kanto qui détruisit une grande partie de Tokyo et fit 140.000 victimes. Alors que la vie économique japonaise subit de plein fouet ce terrible coup, un groupe de Japonais francophiles reprennent le fil des négociations et parviennent à créer en un temps record, moins d'une année après, une « Fondation ayant la personnalité morale » selon la législation japonaise, dénommée Maison franco-japonaise.

La date du 7 mars est habituellement retenue pour commémorer cette fondation, mais c'est le 14 décembre 1924 qu'elle est officiellement inaugurée, et que Paul CLAUDEL prononce un discours d'ouverture dont la première phrase est un hommage à la ténacité de ses partenaires japonais : « Une idée juste porte en elle-même une force intérieure qui finit par l'obliger pour ainsi dire à se réaliser en dépit de tous les obstacles ». Les obstacles n'avaient pas manqué, en effet, depuis 1919, année durant laquelle le gouvernement français avait envoyé une mission universitaire, conduite par le recteur de l'Université de Lyon, et dont l'un des objectifs était d'établir des relations culturelles et scientifiques entre les deux pays, et d'encourager l'apprentissage du français au Japon. Tel était le vœu en effet du gouvernement français, soutenu par des francophiles japonais, et notamment les membres de la Société franco-japonaise dont les origines remontaient à la Société d'études françaises fondée en 1886.

*1 : La presque totalité des informations contenues dans ce résumé, du moins pour l'histoire la plus ancienne de la MFJ est tirée de Bernard FRANK & Shôkichi IYANAGA, « La MAISON FRANCO-JAPONAISE. Son histoire, ses buts, son fonctionnement », Nichifutsu Bunka — Revue de Collaboration culturelle franco-japonaise, No 31, Fascicule II du Numéro Spécial consacré au Cinquantenaire de la Maison franco-japonaise, 1974.

Les premiers pas de la MFJ

Ainsi Paul CLAUDEL avait-il su recueillir les fruits des démarches de ses prédécesseurs et avait en même temps rencontré en la personne de Shibusawa un soutien indéfectible et extrêmement actif pour la création de la MFJ. Shibusawa Eiichi, l'un des modernisateurs du Japon, fondateur de la Banque du Japon, grand capitaine d'industrie était aussi un véritable francophile qui s'employa à réunir les fonds permettant de concrétiser le projet. Shibusawa fut d'ailleurs le premier Président du Conseil d'administration de la Fondation. Dès le début, c'est Shibusawa qui place la Maison franco-japonaise sous le haut patronage de la maison impériale du Japon, un membre de la famille impériale assurera jusqu'à aujourd'hui cette fonction honorifique essentielle.

La répartition des rôles entre les deux partenaires faisait de la partie japonaise l'organe gestionnaire de la MFJ (notamment en matière d'administration, d'entretien de l'immobilier, et de gestion du patrimoine), avec à sa tête un conseil d'administration, présidé par un Président, tandis que les Français avaient à charge de l'animer par la tenue d'activités culturelles et scientifiques, en invitant des conférenciers français, en organisant des colloques, dans le dialogue permanent avec les représentants des milieux scientifiques et universitaires japonais. Il fut convenu que le Bureau français serait financé par le gouvernement français, administré par un professeur français, appelé Directeur français à la Maison franco-japonaise, et que plusieurs « pensionnaires » français, chercheurs orientalistes seraient affectés à la MFJ et contribueraient à son animation. Il en fut ainsi au début, puis chercheurs et enseignants-chercheurs de disciplines variées furent également accueillis à la MFJ. Le premier directeur fut Sylvain LÉVI, indianiste de réputation internationale et Professeur au Collège de France, nommé en 1926.

Une entente fondée sur l'amitié

L'entente entre les deux partenaires a été d'emblée pensée comme une amitié, un partenariat selon des usages qui se mirent en place progressivement sans le recours à aucune clause contractuelle. Les statuts de la MFJ ne concernent d'ailleurs que le fonctionnement de la Fondation de droit privé japonaise, et ne mentionnent pas explicitement l'existence du Bureau français. Le partenariat entre Français et Japonais ne fit donc l'objet d'aucune convention écrite et fonctionne ainsi depuis plus de 80 ans. Un tel système a eu ses avantages et ses inconvénients, comme l'ont fait remarquer les différents directeurs, et notamment les cinq juristes qui ont assumé cette fonction. Impossible en effet de se référer au moindre article de loi en cas de conflit, impossible donc de durcir les positions réciproques, et obligation est ainsi faite aux deux parties de toujours trouver un compromis.

Les sombres années de la Seconde Guerre mondiale

Bien évidemment la réalité ne fut pas toujours aussi rose, et en 80 ans, la MFJ a connu bien des vicissitudes, dont la plus importante fut la Seconde Guerre Mondiale. Le Japon et la France n'étant pas du même côté, le directeur d'alors Frédéric JOÜON DES LONGRAIS, comme d'autres Français résidents au Japon, fut bloqué au Japon et contraint de prolonger sa mission de plusieurs années ; et la MFJ, dont le bâtiment fut endommagé par des squatters, une partie de sa bibliothèque détruite, ne dut sa survie qu'à la constante fidélité d'une poignée d'ardents francophiles. Après la guerre, aucun directeur en titre ne fut nommé par le gouvernement français pendant plusieurs années, le Bureau français, néanmoins, toujours financé par le Ministère des Affaires Étrangères français étant administré par un directeur intérimaire jusqu'en 1954, quand Louis RENOU, indianiste de renom et membre de l'Institut reprend le flambeau de Sylvain LÉVI.

René CAPITANT, infatigable directeur

Sa direction fut immédiatement suivie de celle qui a le plus marqué l'histoire de la MFJ, le futur Ministre du Général de Gaulle, le grand juriste René CAPITANT(*2) donna, à partir de novembre 1957, une impulsion décisive à l'institution et son passage la marqua fortement. Les archives qu'il a laissées témoignent de sa puissance de travail, de ses idées, de son courage et de sa détermination à faire progresser la mission de la MFJ, et à faire entendre la voix de ses partenaires japonais auprès des pouvoirs publics français. Une de ses grandes œuvres avec la création de plusieurs sociétés franco-japonaises spécialisées, fut sa contribution à la reconstruction du bâtiment de la Maison franco-japonaise, ayant réussi à obtenir du gouvernement français une participation importante à la souscription lancée par les partenaires japonais pour son financement.

*2 : Rappelons que René CAPITANT, professeur à la Faculté de Droit durant la Guerre d'Algérie suspendit pour deux mois ses cours en 1957 pour protester de la mort dans les locaux de la police de l'un de ses anciens étudiants, l'avocat algérien Ali Boumendjel. Depuis, on a appris de la bouche même du Général Paul Aussaresses qu'il serait l'auteur de l'assassinat de Ali Boumendjel, la version officielle ayant toujours été que l'avocat s'était "suicidé" le 23 mars 1957. La protestation de R. CAPITANT, alors même qu'il a fallu attendre près de cinquante ans pour que la vérité éclate, apparaît d'autant plus courageuse avec le temps. Cet épisode n'est vraisemblablement pas sans lien avec son départ, d'aucuns disent son "exil", au Japon à ce moment-là.

Une suite de reconstructions nécessaires

Le nouvel immeuble fut édifié sur le terrain de la MFJ, à Kanda Surugadai, près de la gare d'Ochanomizu, au cœur du quartier étudiant de Tokyo. Conçu par YOSHIZAKA Takamasa, un élève de Le Corbusier, il fut inauguré en grande pompe le 23 février 1960 en présence, du côté japonais, de son Altesse Impériale la Princesse Takamatsu, du Premier Ministre KISHI Nobosuke, et du côté français, outre de Jean DARIDAN, alors Ambassadeur de France au Japon, d'André MALRAUX, Ministre d'État, chargé des Affaires culturelles, et venu tout exprès accompagné de trois anciens directeurs français à la MFJ.
Si le nouveau bâtiment d'Ochanomizu marqua la véritable renaissance de la MFJ grâce en partie au travail de René CAPITANT et à l'infatigable activité de son président YAMADA Saburô, la durée de vie du bâti à Tokyo ne dépassant guère trois à quatre décennies, les responsables de la MFJ furent contraints, quelque 35 ans plus tard, d'abandonner le quartier latin japonais pour une nouvelle installation à Ebisu, une zone de Tokyo, qui à l'époque paraissait bien excentrée. Ancien fief des Brasseries Sapporo, le quartier d'Ebisu allait devenir l'un des lieux « branchés » de la capitale japonaise, et le nouveau bâtiment de la MFJ, inauguré en1995, en être l'un des fleurons.

La MFJ, une institution prestigieuse

De par son ancienneté, de par le prestige attaché à ses fondateurs, grâce également à sa tutelle impériale puisqu'elle eut toujours pour Président d'honneur un membre de la famille régnante, aujourd'hui le frère de l'Empereur Akihito, le Prince Hitachi no miya(*3), la MFJ est une institution de grand renom au Japon. Son nom même représente d'une certaine façon l'essence même des relations culturelles franco-japonaises. Ses responsables actuels, notamment le Président du Conseil d'administration HIGUCHI Yōïchi, membre de l'Académie du Japon, Docteur Honoris Causa de plusieurs universités françaises, grand juriste et constitutionnaliste, ancien boursier du gouvernement français ont à cœur de poursuivre la tradition de partenariat avec la France et ses représentants, tout en étant à l'écoute des rumeurs du monde moderne et globalisé d'aujourd'hui.

Il est difficile en quelques pages d'évoquer les acquis de la Maison franco-japonaise depuis sa création, et de montrer comment elle a rempli les différentes missions qui lui avaient été imparties. Avec le temps, les échanges culturels, intellectuels et scientifiques entre la France et le Japon se sont enrichis, et considérablement diversifiés. Fort heureusement, la MFJ n'est plus le canal unique de leur expression. Elle a cependant joué un rôle fondamental en la matière jusqu'aux années 1970, à la fois par l'espace qu'elle offrait aux manifestations culturelles et scientifiques de tous ordres, ainsi que par l'accueil qu'elle réservait aux invités et « pensionnaires-chercheurs » sûrs de trouver en ses murs la logistique et l'infrastructure intellectuelle pour travailler et faire leurs recherches en toute quiétude. Celles-ci nourrirent un riche programme de publications, des monographies et des ouvrages présentant les travaux et les résultats des recherches accomplies en son sein. Le catalogue de publications de la MFJ atteint actuellement près de 150 titres.

Signalons, pour mémoire que sous l'impulsion du premier directeur français Sylvain LÉVI, fut lancé le projet du Hōbōgirin 法宝義林, dictionnaire encyclopédique du bouddhisme d'après les sources chinoises et japonaises, qui reçut immédiatement le soutien et la collaboration d'éminents bouddhologues japonais, tel que TAKAKUSU Junjirō. Sylvain LÉVI créa également le Bulletin de la Maison franco-japonaise (Nichifutsu kaikan gakuhō 日仏会館学報) qui allait devenir l'organe de publication privilégié des chercheurs de la MFJ, jusqu'à la disparition de la Nouvelle Série en 1988. En 1993, la revue d'études japonaises Ebisu, lui fera suite en publiant des travaux de japanologie issus des recherches des chercheurs de la MFJ, mais aussi du milieu des spécialistes du Japon classique et moderne. Parallèlement à ces publications périodiques et monographiques, de gros ouvrages encyclopédiques seront réalisés au sein de la MFJ, tels que le Dictionnaire historique du Japon, dont le premier fascicule parut en 1963 et le dernier et Vingtième en 1995. Cet ouvrage témoigne de l'excellente collaboration d'une équipe de rédaction de spécialistes japonais avec la quasi-totalité des historiens japonologues français.

La Fondation MFJ ne fut pas en reste, puisque 1927 vit la naissance de la petite revue « La culture franco-japonaise » (Nichifutsu Bunka 日仏文化, Revue de Collaboration culturelle franco-japonaise) qui, malgré une périodicité parfois peu régulière, existe toujours, et publie dans chacun de ses numéros, un choix d'articles et de textes de conférences ayant eu lieu à la MFJ, en japonais ou en français.

Françoise SABBAN
[Texte rédigé en 2008]

*3 : Prince Kan'in no miya : 1924-1945 ; Prince Takamatsu no miya : 1952-1987 ; Princesse Takamatsu no miya : 1987-2004 ; Prince Hitachi no miya : 2005-présent



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